noir d'encre


Je n’avais rien à voir avec le tatouage. Ma peau à moi était muette.
Aller à la rencontre. Rentrer dans l’intime. Ne pas s’arrêter à la surface de la peau.
Ce fut un voyage. LE voyage. Au bout du monde, au bout de soi.
J’ai rencontré des hommes, des femmes, qui ont accepté de poser, d’exposer leur peau tatouée, parfois montrée, parfois cachée, mais qui parle pour eux. Ces dessins qui signifient, qui font signe, qui identifient, qui sont mémoire et identité.
Tout est là.

Ne pas prendre d’image sur le vif, revenir avec l’appareil photo en se donnant rendez-vous. Des refus, des rendez-vous ratés.
Pas de détails exotiques, pas d’échelle… et jouer parfois sur le trouble entre les parties de corps.
Le film utilisé a du grain. Je l’ai aimé tout de suite. Son grain photographique se mêlait au grain de peau, fin, doux, vivant. Après plusieurs mois de climat tropical, le grain, parfois, est devenu plus gros, comme des taches humides et vieillies par le temps.
Petits rectangles irisés, presque métalliques, miroitants comme des daguerréotypes.
L’empreinte s’est imposée. Plus que des photographies, ce sont des empreintes.
Sous l’agrandisseur, l’encre blanche dessinait des images dans l’image.
La mémoire des ancêtres en même temps que celle du temps présent. Un lien avec le passé et une continuité avec le futur.
Ce n’était plus une épaule, un genou. C’était quelqu’un, quelque part, très loin, qui se livrait, qui parlait de soi. Et moi, si loin, si proche. Nous avions des choses en commun. Et ce n’était pas des dessins sur le corps.
Dans le noir du labo, je parlais aussi de moi.
Mettre à nu, révéler.
Rendre belles ces blessures cicatrisées.
Aux Samoa, Salimata m’avait expliqué comme c’était important de bien s’occuper de son “tatau“, les semaines suivant le tatouage. Comment il fallait l’aimer cette blessure pour qu’elle cicatrise bien.
Des cicatrices qui parlent de soi. La souffrance qui montre qu’on est fort, que l’on a mérité d’appartenir au monde des Hommes.
Et moi, je suis là.
Face à eux, je suis vivante. Nous sommes de la même tribu.