"Lettre à Esmeralda"
Je te connais si peu.
Quelle coïncidence nous rapproche ?
Tous les matins de 2014 et 2015 je t’ai vue accompagner ton fils Glen, étrange, énigmatique puis
diagnostiqué autiste. Tu étais présente à chaque rendez-vous, tu étais toujours là pour lui.
Je t’ai accompagnée, j’ai fait des courriers, pour un logement décent, pour un dossier de régularisation, je
suis venue faire des photos à la mairie pour le parrainage républicain de Glen, nous nous sommes donné
rendez-vous au square l’été qui a suivi. C’était il y a cinq ans.
Je ne voulais pas perdre ce lien.
Petit bout de femme, logée à l’hôtel social, qu’on pourrait croire fragile mais tellement forte et digne.
Quand je t’ai parlé de toi comme ça, avec un léger sourire tu m’as répondu : « Quand j’étais au Congo, mes
amis m’appelaient “Engambe“, ça veut dire “Costaud“… Tu as bien vu dans moi ».
Esmeralda, je veux faire des photos de toi, debout.
Tu es une femme debout.
Je n’ai pas pu retourner dans ta chambre d’hôtel à cause du confinement. Je t’ai alors demandé de faire avec
ton téléphone les photos que je ne pouvais pas faire. Je les voyais précisément dans ma tête, je n’imaginais
pas qu’elles seraient aussi simples et brutes. Elles montrent tout avec rien.
Puis, une très bonne nouvelle est arrivée : un logement social t’était enfin attribué, après dix ans de vie
à l’hôtel avec ton fils dans une chambre de 10 m2 !
J’ai voulu qu’on aille dans les lieux de Paris que tu connaissais et aussi au Musée de l’Histoire de
l’Immigration, pour sa valeur symbolique. Double symbole, les grilles étaient fermées, en cette période de
déconfinement progressif.
On marchait dans Paris, nous n’avons jamais autant discuté de choses personnelles et intimes.
« Partout étrangère », m’as-tu dit…
Venue d’ailleurs, avec un fils qui vit dans son “ailleurs“.
L’ailleurs. Celui que l’on quitte ou bien celui vers lequel on va.
Je vis avec ça en moi.